Ghost of Tsushima, l’histoire au service du divertissement ?

Jin Sakai Ghost of Tsushima

Le Japon a toujours exercé une fascination sur les joueurs, renforçant ainsi son attrait auprès du grand public. Qui ne connaît pas aujourd’hui la figure mythique du samouraï, popularisée par les films d’Akira Kurosawa ? Ghost of Tsushima s’inscrit parmi les derniers jeux explorant l’époque historique du Japon féodal. Sorti en 2020 et développé par le studio américain Sucker Punch, ce jeu se déroule précisément durant l’ère de Kamakura, lors de la première invasion mongole de l’île de Tsushima en 1274.

L’histoire suit le samouraï Jin Sakai, chargé d’organiser la défense de l’île japonaise face à la horde mongole menée par le cousin fictif de Kubilaï Khan, Kotun Kahn. Laissé pour mort lors de la première grande bataille au cours de laquelle 80 samouraïs ont été balayés par la horde mongole, Jin Sakai remet en question l’honneur et le code samouraï pour devenir le « fantôme ». En tant que guerrier opérant dans l’ombre et utilisant des méthodes d’assassinat considérées comme indignes de la caste des samouraïs, Jin se donne pour mission de libérer l’île de Tsushima. Le joueur peut choisir entre la voie du samouraï et celle du fantôme.

En explorant l’île à sa guise, le joueur rencontre divers personnages qui l’aident dans sa quête et améliorent sa technique au sabre. Ghost of Tsushima offre ainsi une expérience immersive où le joueur peut décider de suivre les traditions du samouraï ou d’embrasser la voie plus furtive du fantôme pour atteindre ses objectifs.

Le contexte historique abordé dans le jeu

Le décor de Ghost of Tsushima se plante lors de l’invasion mongole de 1274, une débâcle historique rappelée avec puissance dès le début du jeu. Les samouraïs, peu préparés aux batailles de masse, ont été balayés par une armée mongole de plus de 40 000 hommes, experts en stratégie et mieux équipés. Cette défaite a secoué le shogunat de Kamakura, au pouvoir depuis 1192, marquant une crise majeure.

L’époque de Kamakura, souvent éclipsée par l’ère Sengoku ou Edo dans la culture populaire, a été le berceau du changement au Japon. Les « Bushi » ont émergé en tant que classe dirigeante via le Bakufu, dirigé par le shogun, reléguant l’empereur à un rôle symbolique. Cette ère a façonné les normes sociales, érigeant la fonction guerrière avec ses codes spécifiques.

L’invasion mongole a été un tournant crucial, consolidant le pouvoir du shogunat de Kamakura. Ces événements ont souvent été négligés dans la représentation médiatique du Japon féodal, alors qu’ils ont profondément marqué l’histoire du pays.


Le jeu, bien qu’ancré dans une période historique réelle, fait le choix d’une fiction en présentant des personnages purement fictifs. Néanmoins, cela ne signifie pas un manque de respect envers la culture japonaise. Les développeurs ont minutieusement travaillé avec une équipe de consultants culturels et ont effectué un périple sur l’île de Tsushima aux côtés d’un historien. Cette démarche se reflète dans chaque détail du paysage insulaire ainsi que dans les références à la culture japonaise.

Le jeu intègre des éléments shintoïstes, mettant en avant l’importance de la nature. Plutôt que de s’appuyer sur un HUD encombrant, le joueur se repère en faisant appel à son environnement, renforçant ainsi l’immersion. Par exemple, Jin peut utiliser le vent comme guide vers le prochain objectif (une ironie savoureuse, sachant que c’est un « Kamikaze » qui a repoussé la flotte mongole lors de la seconde invasion en 1284) ou suivre un renard vers un sanctuaire.

Cependant, le jeu s’éloigne de la réalité historique en termes d’esthétisme et de thèmes. L’équipement de Jin, ses armures et armes, rappelle davantage celui d’un samouraï de l’ère Sengoku ou Edo, tel que popularisé par le cinéma de Kurosawa. Les haïkus, bien que récurrents, datent plutôt du XV-XVIe siècle. De même, la notion d’honneur dans le jeu semble s’inspirer du Bushido, lui-même lié à l’époque d’Edo. On constate ainsi une utilisation de l’imaginaire populaire entourant les samouraïs, déviant de la réalité historique, mais rendant hommage au cinéma de Kurosawa et aux films de samouraïs popularisés depuis les années 1950.

En fin de compte, le jeu ne cherche pas une fidélité historique extrême sur le plan esthétique. Au contraire, il privilégie l’immersion en exploitant l’imaginaire populaire largement reconnu. La question demeure : cela en fait-il un mauvais outil pour s’intéresser à l’histoire ?

L’histoire et les jeux vidéo, un bon duo?


Comme le souligne l’historien Jean-Clément Martin dans son article sur la polémique liée à Assassin’s Creed Unity, la préférence du public penche souvent en faveur de l’histoire romancée plutôt que de l’histoire scientifique. Pourtant, l’utilisation de l’histoire dans le contexte du jeu vidéo présente plusieurs avantages. Tout d’abord, elle favorise le développement de l’empathie des joueurs envers une période historique donnée. L’immersion est renforcée lorsque les joueurs se sentent investis et peuvent visualiser le passé, même avec les déviations nécessaires pour des choix artistiques et scénaristiques. Cela incite les joueurs à s’intéresser davantage à l’histoire de manière générale, le côté visuel et ludique du jeu vidéo contribuant à cette fascination.

Un exemple concret de cette symbiose entre histoire et jeu vidéo est le célèbre jeu Assassin’s Creed, qui a réussi à créer un outil pédagogique fascinant : Le Discovery tour. Ce dispositif permet aux joueurs d’explorer le monde du jeu avec des capsules qui décrivent les objets, personnages, mœurs de l’époque, agissant ainsi comme un véritable guide touristique à travers l’histoire. De nombreux historiens, dont Évelyne Ferron, ont même intégré régulièrement l’industrie du jeu vidéo en tant que collaborateurs.

Ghost of Tsushima s’inscrit dans cette lignée, créant une fusion entre l’histoire et la fiction pour offrir une expérience de jeu vidéo de type blockbuster, plongeant les joueurs au cœur des invasions mongoles sur l’île de Tsushima en 1274. Le jeu illustre comment l’histoire peut devenir un élément clé pour enrichir l’expérience immersive des joueurs, tout en mélangeant habilement la réalité historique avec des éléments fictifs pour créer une expérience captivante.

Université de Sherbrooke. «  Définitivement, histoire et jeux vidéo font bon ménage ! », 8 octobre 2022. https://www.usherbrooke.ca/actualites/nouvelles/recherche/details/35834.

Université de Sherbrooke. « Jouer l’histoire : contrôler le passé… dans les jeux vidéo », 8 octobre 2022. https://www.usherbrooke.ca/actualites/nouvelles/societe/details/44873/

Cadé, Michel. « ‪Jean-Clément Martin, Laurent Turcot, Au cœur de la Révolution. Les leçons d’histoire d’un jeu vidéo‪. Paris, Vendémiaire, coll. Chroniques, 138 pages ». Questions de communication 30, no 2 (2016) : 472 — 74. https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.10979.

Jeuxvideo.com. « Ghost of Tsushima : Fidèle à l’histoire du Japon féodal ? Réponse avec un expert », 8 octobre 2022. https://www.jeuxvideo.com/news/1257645/ghost-of-tsushima-fidele-a-l-histoire-du-japon-feodal-reponse-avec-un-expert.htm.

Takahashi, Mari. « Balancing History and Fun in Ghost of Tsushima ». Polygone (blogue), 15 juillet 2020. https://www.polygon.com/interviews/2020/7/15/21324263/ghost-of-tsushima-research-interview-mari-takahashi.

GameSpot. « How Ghost Of Tsuhima Balances Fact Versus Fiction », 8 octobre 2022. https://www.gamespot.com/articles/how-ghost-of-tsuhima-balances-fact-versus-fiction/1100-6460128/.

Souyri, Pierre-François. Histoire du Japon médiéval. Le monde à l’envers. P.140-144Tempus. Paris : Perrin, 2013. https://www.cairn.info/histoire-du-japon-medieval–9782262043612.htm.

Mark Cartwright, « The Mongol Invasions of Japan, 1274 & 1281 CE », World History Encyclopedia, consulté le 12 octobre 2022, https://www.worldhistory.org/article/1415/the-mongol-invasions-of-japan-1274–1281-ce/.

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